Le Rwanda est un pays rongé par une politique de division héritée des empires coloniaux successifs. Suivant le vieux principe du « diviser pour mieux régner » le colonisateur belge avait misé successivement sur les Tutsi ou sur les Hutu pour asseoir son pouvoir en instaurant une division raciale entre les deux groupes, alors qu’il n’existe aucun argument concret pour affirmer que les Tutsi sont d'une origine raciale différente des Hutu.

Bien au contraire, à l’arrivée des colons allemands puis belges au début du XXe siècle, le Rwanda était une société fondée sur « l'unité » : les Tutsi, les Hutu et les Twa, troisième composante rwandaise. Ils partageaient la même culture, les mêmes coutumes religieuses et des langues qui se voulaient d’une origine commune. Il existait certes une aristocratie tutsi, autour du mwami (roi), qui dominait effectivement une majorité hutu, mais la distinction entre Tutsi et Hutu était une construction sociale souple. Les colonisateurs transformèrent donc l’organisation de la société rwandaise, basée jusqu’alors sur des catégories sociales, en y introduisant cette notion de races, pourtant sans fondement réel.

En 1961, au moment de l’indépendance du pays, la majorité hutu arrache le pouvoir non sans violence. Des pogroms anti Tutsi éclatent en 1959, 1962, 1963 et 1973, poussant nombre de Tutsi à se réfugier dans les pays voisins. Des années plus tard ces réfugiés fondent le Front patriotique rwandais (FPR). La guerre civile commence.

Au début des années 1990, les succès militaires du FPR contraignent le dictateur Habyarimana, alors à la tête du Rwanda, à négocier. Les accords d’Arusha, conclus en 1993, prévoient le partage du pouvoir entre les différentes composantes de la société rwandaise, Hutu, Tutsi et Twa. Ils déclenchent un espoir d’ouverture démocratique, désirée par de nombreux rwandais. En réalité, ces accords accélèrent la préparation du génocide : importation massive d’armes, création de milices et des « médias de la haine », qui lancent déjà des appels à l’extermination.

Le 6 avril 1994, l'avion qui transporte les présidents rwandais et burundais est abattu par deux missiles sol-air alors qu'il entame sa manœuvre d’atterrissage au-dessus de l’aéroport de Kigali, capitale du Rwanda. La nouvelle de l’attentat se répand comme une traînée de poudre aux quatre coins du pays. La machine à tuer, comme si elle n’attendait que ce signal pour entrer en action, se déchaîne aussitôt.

En quelques minutes les milices Interahamwe (« Ceux qui combattent ensemble ») – le bras armé du génocide qui recrute parmi les jeunes sans travail ni avenir, les supporters de football, les prisonniers libérés à cet effet etc. – bouclent la ville, les tueurs investissent les maisons des libéraux et des Tutsi, dont ils ont établi les listes auparavant, et massacrent sans autre forme de procès. Dans les jours qui suivent, alors que la presse occidentale continue à parler de massacres interethniques, le Rwanda est ravagé par un plan d’extermination des Tutsi de l’intérieur.

Le génocide a démarré. Selon le recensement du 18 décembre 2001, il fait près d’un million de victimes en près de 100 jours. Seule la victoire militaire du FPR sur les forces de l’ancien régime met fin au génocide, une victoire qui pousse des centaines de milliers de Hutu, parmi lesquels figurent de nombreux génocidaires, à fuir le pays. Les images de cet exode serviront d’alibi aux partisans de la thèse du double génocide comme aux négationnistes hutu.

Deux outils, l’un moderne, l’autre très archaïque, symbolisent mieux que d’autres ce génocide d’un genre très particulier : la radio et la machette. Le premier sera mis à profit pour inciter les Hutu à la haine des Tutsi, à donner et recevoir les ordres d’un coin à l’autre du pays, le second pour les exécuter. Car pour que se déroule un génocide d'une ampleur, d’une efficacité et d’une cruauté tel que celui qui a frappé les Tutsi du Rwanda, pays catholique à 92 %, il a fallu préparer psychologiquement les masses hutu, incitées à agir en première ligne dans les massacres.

En mai 1990 est créé le journal Kangura chargé de diffuser la « bonne » parole raciste, et en avril-juillet 1993 est lancée la radio « libre » des « Mille Collines », RTLM. La « radio qui tue », tel est son surnom, est la voix du génocide. On peut dégager quatre grandes lignes dans la propagande qu’elle diffuse :

  • On y prétend que les Tutsi sont biologiquement étrangers, de race inférieure ; ils sont qualifiés de « cafards ».
  • Les Hutu sont appelés à constituer un bloc homogène afin de garantir leur avenir de peuple majoritaire.
  • L’usage de la violence absolue, face à cette supposée menace de l’intérieur, est justifiée par la notion d’autodéfense.
  • Comme dans le cas des nazis, dans les textes comme à la radio, la préparation du génocide est dissimulée par un vocabulaire particulier : ainsi pour évoquer l’extermination, on parle de l’umuganda, terme qui désigne les travaux agricoles collectifs, comme le défrichage, le désherbage ; exterminer les enfants revient à « arracher les herbes jusqu'à la racine ».

Les chiffres des massacres donnent la mesure du degré d’accomplissement de la décision génocidaire. Toutes les études démontrent l’existence d’une véritable « solution finale » décentralisée, région par région, sous la hiérarchie des préfets, sous-préfets et bourgmestres. Mais s’il y a pire que le génocide des Tutsi en lui même, c’est de savoir que celui-ci était totalement évitable, pour reprendre le titre même du rapport officiel de l’Organisation de l’Unité Africaine. Les chefs du complot semblaient peut-être impressionnants localement, mais ils étaient peu nombreux.

Comment ne pas partager la conviction de Roméo Dallaire, commandant des forces de l’ONU présentes au Rwanda avant le déclenchement du génocide, qui affirme qu’avec un effectif de 5 000 hommes et un mandat approprié, les forces des Nations Unies (MINUAR) auraient pu empêcher les tueries. Le génocide aurait pu être évité si la communauté internationale avait eu la volonté d’en accepter les coûts. Or, cette volonté, plutôt molle avant le 6 avril 1994, disparut complètement au début du génocide.

C’est en fin de compte la victoire du FPR, l’armée de libération du Rwanda composée en majorité de Tutsi, qui mit fin au génocide et sauva les rares survivants.

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