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Etude de cas : le ghetto de Varsovie (1940-1943) 2/2

La terreur organisée avant les déportations

Afin de briser toute velléité de résistance, l’occupant pratique dès les premiers jours une politique de terreur. Humiliation répétée et violence gratuite : il faut se soumettre aux « exercices de gymnastique » dans la rue, une brique au bout de chaque bras, se laver les mains dans le caniveau et nettoyer les latrines à mains nues.

Le port du brassard donne lieu à des extorsions de fonds : des soldats allemands se présentent au siège du Conseil en escortant des Juifs sans brassard dont ils demandent le « rachat ». Alors qu’en janvier 1941, une sortie du ghetto est passible d’une amende de 1 000 zlotys (et/ou de trois mois de prison), en octobre 1941, la sanction se transforme en peine de mort.

Les premières exécutions, le 17 novembre, plongent les reclus du ghetto en état de choc. La peur pénètre l’intimité, et paralyse l’autodéfense d’une communauté qui, en dépit des clichés sur la « passivité juive », avait depuis longtemps pris l’habitude de rendre les coups à ses agresseurs. Outre les otages fusillés et la prison de Pawiak, la terreur prend également la forme d’une violence gratuite qui s’abat, impromptue, sur la rue juive : en mai 1942 par exemple, les Allemands rassemblent au cimetière, pour les filmer, des Juifs qu’ils forcent à danser autour de cadavres nus.

À partir du printemps 1942, les SS entrent chaque nuit dans le ghetto pour y assassiner leurs victimes qu’elles laissent baignant dans une mare de sang.

La déportation (22 juillet 1942-21 septembre 1942)

Commencée le 22 juillet 1942, la « grande déportation » conduit au camp d’extermination construit à Treblinka, un village situé à 120 km au nord-est de Varsovie, plus de 280 000 Juifs pour y être assassinés dans des chambres à gaz. Elle s’inscrit dans le cadre de l’Aktion Reinhardt initiée début 1942 avec la construction des centres de mise à mort de Belzec, de Sobibor et de Treblinka.

Dans la matinée du 22 juillet 1942, le major SS Höfle, responsable des déportations dans le Gouvernement général, informe Czerniakow, chef du Judenrat, de la « réinstallation » de la plus grande partie de la population « vers l’Est ». Il exige le départ de 6 000 personnes le jour même à 16 heures, et autant au moins chacun des jours suivants. Le lendemain, Czerniakow se suicide.

Du 22 au 30 juillet 1942, les SS supervisent les arrestations et les déportations en laissant à la police juive le gros du travail. Les rues sont bloquées dès l’aube, les immeubles encerclés et fouillés, les appartements inspectés dans les moindres recoins, 2 000 chiens policiers à l’appui. Les enfants des orphelinats sont envoyés parmi les premiers à la mort. La terreur est générale.

Du 6 au 10 septembre en particulier, la population est regroupée dans un quadrilatère restreint (l’épisode est connu sous le nom de « chaudron ») d’où par contingents entiers, elle est amenée à l’Umschlagplatz, lieu de formation des convois pour Treblinka. L’Aktion prend fin le 12 septembre. Elle rebondit une journée encore, le 21, jour de Kippour, quand les policiers juifs et leurs familles sont déportés à leur tour.

Selon les diverses estimations, 265 000 à 310 000 Juifs ont été gazés à Treblinka en 8 semaines. Après les déportations, il reste officiellement dans le ghetto 36 000 personnes dont les membres du Judenrat, et les travailleurs des ateliers Toebbens, Schultz et de brosserie. 20 000 à 25 000 clandestins se terrent dans des caches de toutes sortes. Une ville souterraine est creusée qui deviendra, en avril 1943, un tombeau.

Prélude à l’insurrection

Lorsque des informations sur la situation extérieure parviennent dans le ghetto à l’été et l’automne 1941, en particulier sur le centre de mise à mort de Chelmno, l’idée selon laquelle les massacres à l’Est ne seraient qu’une vengeance contre l’URSS s’effondre.

En mars 1942, la nouvelle de l’extermination des Juifs de Lublin impose au sein de la jeunesse juive la nécessité de la lutte armée. Les mouvements sionistes proposent, les premiers, de mettre sur pied une organisation commune de résistance. En mars 1942, un « Bloc antifasciste » est mis sur pied. Mais en juin 1942, la Gestapo arrête le réseau tout entier.

Sur ces ruines, et au milieu des déportations, l’Organisation juive de combat (OJC, en polonais, Zydowska Organizacja Bojowa) est fondée le 28 juillet 1942. Constitué à la mi-novembre 1942, le Comité national juif en est la représentation politique. L’OJC entre en contact du coté aryen de Varsovie avec l’Armia Krajowa (l’Armée de l’intérieur, issue de la résistance polonaise) pour obtenir des armes, mais celle-ci ne leur fait parvenir que quelques pistolets.

À la suite de la visite de Himmler (9 janvier 1943), un millier d’hommes encerclent le ghetto, le 18 janvier au matin. Les Juifs ne se rendent plus mais se cachent : la rupture est nette par rapport à l’été précédent et contribue peut-être au bilan un peu moins meurtrier de ces 4 jours de rafles (6 500 personnes arrêtées et déportées). La véritable rupture, toutefois, se situe davantage dans le premier engagement armé qui oppose la résistance juive (40 membres de l’OJC munis de 4 revolvers) aux Allemands et à leurs auxiliaires : pour symbolique, il ouvre la voie à la révolte d’avril 1943.

L’insurrection (19 avril – 16 mai 1943)

L’entrée des Allemands dans le ghetto le 19 avril 1943 ne surprend ni la résistance juive ni le reste de la population. Dans la nuit du 18 au 19 avril, l’Organisation juive de combat déclenche l’alerte.

Les premières unités SS pénètrent à l’aube du 19, mais elles sont repoussées par les insurgés. Le commandant allemand est relevé de ses fonctions et le général SS Jürgen Stroop lui succède le 20 avril. La résistance juive ne compte pas plus de 750 combattants. Les Allemands alignent 830 SS auxquels s’ajoutent des effectifs de police et de nombreux auxiliaires ukrainiens et baltes.

Au plus fort des combats, ils déploient plus de 2 000 hommes lourdement armés, bénéficiant du soutien de l’artillerie, des blindés et de l’aviation. En face, chaque combattant de la résistance juive dispose d’un revolver, de dix à quinze balles et de 4 à 5 grenades à main. Les pertes juives sont lourdes dès le 19 au soir, mais les Allemands, pour la première fois, ont reculé. Informé, Himmler donne l’ordre de liquider le ghetto.

Dès lors, Stroop a carte blanche. Maison par maison, chacun des 24 secteurs est systématiquement incendié puis rasé au bulldozer. Malgré l’aide ponctuelle de la résistance polonaise, le combat est inégal. Les Allemands ne s’aventurent plus dans les rues du ghetto avant d’avoir usé des gaz asphyxiants, du feu et de la dynamite. 631 bunkers sont détruits par les flammes.

Les occupants sont enterrés vivants, asphyxiés et carbonisés. Entre le 19 avril et le 16 mai 1943, les Allemands comptent 16 tués et 85 blessés. Le 8 mai, le poste de commandement de la résistance juive, rue Mila, est anéanti. Il n’y a pas un survivant pour raconter comment sont morts les chefs de l’insurrection. Le 11 mai, les organisations juives de Pologne lancent un dernier SOS qui se conclut par ces mots : « Le monde de la liberté et de la justice reste silencieux et ne fait rien ! » Le 16 mai 1943, après avoir fait dynamiter la grande synagogue, Stroop câble à Himmler : « Il n’y a plus de quartier juif à Varsovie. »

Le ghetto en ruine

Plus de 7 000 Juifs furent tués pendant la liquidation du ghetto. 7 000 furent assassinés à Treblinka et 42 000 autres furent déportés vers des camps de concentration et de travail forcé du district de Lublin. Seuls 80 combattants du ghetto survécurent et certains d’entre eux trouvèrent la mort lors de l’insurrection de Varsovie de l’été 1944.

En juillet 1943, les Allemands installent un petit camp de concentration où ils transfèrent 3 000 Juifs d’Auschwitz afin de récupérer ce qui peut l’être et déblayer les ruines. Il ne doit rien rester du ghetto de Varsovie et du judaïsme polonais

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