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Etude de cas : les camps de personnes déplacées

A la fin du mois d’octobre 1945, un million de personnes déplacées, dont 250 000 Juifs, principalement originaires d’Europe centrale et orientale, sont toujours internées, essentiellement en Allemagne (185 000), en Autriche (45 000) et en Italie (20 000).

Parmi elles, les rescapés de la Shoah qui ne souhaitent pas rentrer dans leurs pays d’origine où ils ont subi de dures épreuves. Figurent également ceux qui ont regagné la Pologne mais qui, confrontés à une vague d’antisémitisme, notamment à Kielce où en juillet 1946, 41 Juifs sont mis à mort à coups de haches au cours d’un pogrom, renoncent à se réinstaller.

Enfin, certains sont des réfugiés qui avant la deuxième guerre mondiale ont fui leurs pays devant la montée de l’antisémitisme pour se réfugier dans un autre état qui sera plus tard également le théâtre d’un conflit. C’est par exemple le cas des Juifs allemands et autrichiens réfugiés à Shanghai avant-guerre qui se trouvent mêlés à la guerre civile chinoise, après la prise du pouvoir par les communistes. Ces derniers ne souhaitent pas retourner dans leurs pays d’origine, alors que les frontières des USA, de la Palestine et des autres pays d’Europe leurs sont fermées.

Selon le rapport d’une commission d’enquête dirigée par Earl G Harrison, doyen de la faculté de droit de l’université de Pennsylvanie, remis en août 1945 au président américain Truman, les conditions de vie dans ces camps sont difficiles : surpeuplement, mauvais équipement sanitaire et maladresses des militaires qui gardent les D.P. comme des prisonniers.

Psychologiquement, le séjour prolongé de ces rescapés s’apparente à un nouvel emprisonnement derrière les barbelés. Parfois, les Juifs toujours vêtus de leurs tenues rayées côtoient, dans l’enceinte des camps, des nazis et leurs collaborateurs. Ce rapport provoque dans l’opinion publique un débat sur le sort des D.P. et entraîne l’amélioration des conditions de vie dans certains camps. Des efforts sont entrepris pour regrouper les D.P. juifs en zone américaine notamment en Bavière, dans le Württemberg et dans le nord de la Hesse.

Dans le même temps, le président Truman intervient personnellement en faveur des réfugiés et des orphelins de guerre par une « Directive du 22 décembre 1945 » permettant d’attribuer, en trois ans, 35 515 visas américains à des D.P. dont 28 000 à des Juifs. Par ailleurs, le président américain demande à la Grande-Bretagne d’accueillir 100 000 D.P. en Palestine, mais celle ci refuse, fidèle au Livre Blanc de mai 1939 et soucieuse de ne pas s’aliéner les populations arabes.

Les organismes de secours

Les organismes de secours autorisés à pénétrer dans les camps tentent de soulager les souffrances des internés et de répondre à leur désœuvrement. Il s’agit essentiellement de l’UNRRA, remplacé en décembre 1946 par l’IRO (Organisation Internationale pour les Réfugiés), le CICR (le Comité International de la Croix Rouge), le YMCA (Young Men Christian Association).

Le Joint (American Joint Distribution Committee) facilite la réinstallation des Juifs dans différents pays, la HIAS (Hebrew Immigrant Aid Society) tente d’obtenir des visas pour les USA, l’Agence Juive pour la Palestine; l’ORT (Organisation Reconstruction Travail) installe des ateliers d’apprentissage dans 18 camps de personnes déplacées situés en Allemagne, l’OSE (Œuvre de Secours aux Enfants) s’occupe plus particulièrement des enfants, la plupart originaires d’Europe de l’Est.

Dans chacune des zones d’occupation alliée, les D.P. créent des organisations unitaires afin de mieux défendre leurs intérêts. Pour la zone américaine, une conférence des Juifs survivants en Allemagne se tient le 25 juillet 1945 et crée un comité central de défense des D.P., élu tous les ans et dirigé par Zalman Grinberg. En zone britannique, un comité provisoire regroupant les organisations de survivants se tient dès avril 1945 à l’initiative de Joseph Rosensaft.

Une vie juive fleurissante

Une importante vie culturelle se développe progressivement dans les camps de D.P. après des années d’internement et de privation. Dans les seuls camps situés en Allemagne, près d’une centaine de journaux sont publiés, en yiddish et en hébreu, le premier journal yiddish ayant été créé à Buchenwald. Les plus grands camps disposent de leur propre théâtre, le plus connu étant celui de Munich.

Des écoles sont établies pour les quelques enfants survivants et les adultes soucieux d’apprendre. De nombreux camps ont leur propre école talmudique (Yeshivah) souvent dirigée par des autorités rabbiniques attachées au camp. Des clubs de sport, en particulier des équipes de football, organisent des tournois. Mariages et naissances sont régulièrement célébrés.

Le camp de Bergen-Belsen illustre bien ce renouveau de la vie juive dans les camps de D.P. Au lendemain de la Libération, les internés continuent à mourir dans ce camp ravagé par le typhus. Si la majorité des déportés est rapatriée, Bergen-Belsen devient néanmoins le plus grand camp de D.P. d’Allemagne occidentale, comptant près de 12 000 Juifs.

Établi dans les casernes des S.S., le camp est parmi les mieux équipés des camps de personnes déplacées. Des cours de langue et des ateliers de formation professionnelle sont mis en place à l’attention des plus jeunes. Sous la direction du metteur en scène, Sami Feder, lui aussi rescapé des camps, le « Kazel Theater » joue des classiques et surtout des pièces écrites par les détenus eux mêmes. Cette troupe de théâtre connaît un grand succès et se produit dans d’autres camps de D.P. Au cours des trois années qui suivent la libération du camp, une société multiforme constituée de groupes politiques distincts apparait, dirigée par un chef élu.

Le sionisme

Au cours d’une visite dans les camps de D.P., les membres de la commission d’enquête anglo-américaine sur la Palestine découvrent ce que cette terre symbolise pour la plupart des réfugiés juifs. Sur 19 000 personnes interrogées dans le cadre d’un sondage effectué par l’UNRRA en mai 1946, 18 700 d’entre elles répondent par le choix de la Palestine comme pays d’accueil.

Derrière le mot Palestine se profile l’image du foyer retrouvé en opposition à l’errance, le sentiment de sécurité en réponse à l’antisémitisme qu’ils ont enduré. D’ailleurs les mouvements sionistes sont fortement représentés dans les camps de D.P. et une structure de vie communautaire similaire à celle du kibboutz est parfois mise en place. Afin de préparer les jeunes à l’émigration en Palestine, des fermes agricoles sont également créées avec l’aide des autorités d’occupation.

Dans la zone américaine, à la fin de 1946, 42 fermes regroupent 3 500 jeunes. La première d’entre elles, le Kibboutz Buchenwald, est établie en juin 1945.

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