Adolf Eichmann adhère au parti national-socialiste autrichien et à la SS en avril 1932. Il entre au SD (Service de sécurité) dès 1935 où il se spécialise dans les « affaires juives ». Il est nommé en 1938 à la tête du bureau de Vienne qui s’occupe de l’expulsion de la population juive (Zentralstelle für jüdische Auswanderung), puis devient en 1939 successivement chef de ce bureau à Prague et à Berlin. Eichmann commence à travailler au Bureau central de la sécurité du Reich (RSHA) dès sa création le 27 septembre 1939 et, à compter de mars 1941, il occupe la fonction de chef du bureau IV B4 (affaires juives et expulsion). Il dispose de représentants dans toutes les ambassades des pays occupés et devient ainsi le coordonnateur des déportations et du massacre de millions de Juifs à travers l’Europe. Le 20 janvier 1942, en participant à la conférence de Wannsee comme rapporteur, il consolide sa position de « spécialiste des affaires juives ». En mai 1944 il se déplace en personne à Budapest, pour mettre en application la déportation et le meurtre de 440 000 Juifs hongrois à Auschwitz-Birkenau. Début mai 1945, Eichmann prend une fausse identité et réussit à fuir en Italie puis rejoint l’Argentine. En mai 1960, il est repéré par les services secrets israéliens. Enlevé, il est jugé à Jérusalem en décembre 1961, condamné à mort et exécuté le 31 mai 1962.

Son procès a provoqué une onde de choc bien au-delà d’Israël, bien au-delà de son actualité immédiate. Il n’est pas le premier jugeant des crimes nazis mais le premier où s’affrontent avec une telle acuité la justice et la politique, la mémoire et l’histoire. Il est l’un des premiers événements « mondiaux », à l’ère naissante de la communication sans frontières, donnant une dimension globale sinon encore universelle à l’événement. À plus long terme, le procès de Jérusalem est un jalon important dans la connaissance de l’extermination des Juifs. Donnant la parole aussi bien à l’un de ses principaux organisateurs qu’à de nombreux survivants, il offre le spectacle d’une confrontation contradictoire entre le criminel et la victime. Centré sur un homme seul, il permet de pénétrer la psychologie d’un criminel de masse dont la « banalité » apparente fait resurgir l’exceptionnalité du système qui l’a formé et transformé. Il suscite dès lors une vague d’études historiques, philosophiques, sociologiques qui contribuent à inscrire la réflexion sur le nazisme et son héritage au cœur de la culture occidentale contemporaine. Plus encore que Nuremberg, le procès Eichmann accorde un rôle majeur à la fois au témoignage et à la scène judiciaire comme vecteurs de mémoire privilégiés d’un passé qui se révèle avec le temps insurmontable. Il est dans les mémoires lors des procès Barbie, Touvier et Papon en France. Bien qu’il ait été voulu et conçu dans un cadre national, il a sans doute favorisé à terme l’émergence d’une justice internationale, un débat qui resurgit en 1960-1961.

Le procès de Jérusalem constitue une première expérience d’une justice qui s’exerce dans un temps éloigné, le temps de l’Histoire. Il influence la réflexion sur la possibilité de juger d’autres crimes de masse lesquels seront déclarés imprescriptibles dans les années suivantes par des accords internationaux.

[Texte de Henry Rousso]

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